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Le 4 novembre 1958
LES DIEUX ET LEURS MONDES
Les dieux des Pourânas, et ceux de la mythologie grecque et
égyptienne, ont-ils une existence réelle ?
On trouve toutes sortes de similitudes entre les dieux des
Pourânas et ceux de la mythologie grecque ou égyptienne; ce pourrait être un
intéressant sujet d'étude. Pour le monde occidental moderne, toutes ces
divinités — dieux grecs et autres dieux "païens" comme ils les appellent — sont
simplement un produit de l'imagination humaine et ne correspondent à rien de
réel dans l'univers, mais c'est une erreur grossière.
Pour comprendre le mécanisme de la vie universelle, et même
celui de la vie terrestre, il faut savoir en effet que ce sont tous des êtres
véritables et vivants, chacun dans leur domaine propre, et qui ont une réalité
indépendante. Ils existeraient même si les hommes 'n'existaient pas. La plupart
de ces dieux existaient avant que l'homme n'existât.
Dans une très vieille tradition, antérieure probablement aux
traditions chaldéenne et védique qui en sont les deux branches, l'histoire de la
création est racontée, non du point de vue métaphysique ou psychologique, mais
d'un point de vue objectif, et cette histoire est aussi réelle que l'est notre
histoire des époques historiques. Bien sûr, ce n'est pas la seule façon de voir,
mais c'est une façon tout aussi légitime que les autres, et, en tout cas, elle
reconnaît la réalité concrète de tous ces êtres divins.
Ce sont des êtres qui appartiennent à la création progressive de
l'univers et qui ont eux-mêmes présidé a. sa formation, depuis les régions les
plus éthérées ou subtiles jusqu'aux régions les plus matérielles; c'est une
descente de l'Esprit créateur divin, Et ils sont descendus progressivement, à
travers des réalités de
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plus en plus — on ne peut pas dire denses, parce que ce n'est
pas dense; on ne peut pas même dire matérielles, puisque la matière telle que
nous la connaissons n'existe pas sur ces plans —, à travers des réalités de plus
en plus concrètes.
Suivant les écoles occultes et les traditions, toutes ces zones
de réalité, ces plans de réalité ont reçu des noms différents, ils ont été
classifiés de façon différente, mais il y a une analogie essentielle, et si l'on
remonte assez haut dans les traditions, il n'y a plus guère que les mots qui
changent suivant les pays et les langages. Maintenant encore, les expériences
des occultistes d'Occident et celles des occultistes d'Orient présentent de
grandes similitudes. Tous ceux qui vont à la découverte de ces mondes
invisibles et rapportent ce qu'ils ont vu, font une description tout à fait
analogue, qu'ils soient d'ici ou de là; ils ont mis des mots différents, mais
l'expérience est très semblable, et le maniement des forces est le même.
Cette connaissance des mondes occultes est basée sur l'existence
de corps subtils et de mondes subtils qui correspondent a ces corps; c'est ce
que la méthode psychologique appelle des "états de conscience", mais ces états
de conscience correspondent réellement à ces mondes. Le procédé occulte consiste
donc à prendre conscience de ces divers états d'être intérieurs ou corps subtils
et à en devenir suffisamment maître pour pouvoir les faire sortir l'un de
l'autre successivement. En effet, il y a toute une échelle de subtilités
croissantes, ou décroissantes suivant le sens, et le procédé occulte consiste à
faire sortir d'un corps plus dense un corps plus subtil et ainsi de suite
jusqu'aux régions les plus éthérées. On s'en va, par extériorisations
successives, dans des corps ou des mondes de plus en plus subtils. C'est un peu
comme si, chaque fois, on passait dans une autre dimension. La quatrième
dimension des physiciens n'est d'ailleurs que la transcription scientifique
d'une connaissance occulte. Pour donner une autre image, on peut dire que le
corps physique est au centre — c'est le plus matériel et le plus condensé, et
aussi le plus petit —
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et les corps intérieurs plus
subtils débordent de plus en plus ce corps physique central, ils passent au
travers en s'étendant de plus en plus loin, comme une eau s'évapore d'un vase
poreux et forme une sorte de buée tout autour; et plus la subtilité est grande,
plus l'extension tend à rejoindre celle de l'univers : on finit par
s'universaliser. Et c'est un procédé tout à fait concret, qui donne une
expérience objective des mondes invisibles, et qui permet même d'agir dans ces
mondes.
Il n'y a donc qu'un petit nombre de gens en Occident qui savent
que ces dieux ne sont pas simplement subjectifs et de l'imagination — une
imagination plus ou moins déréglée — et qu'ils correspondent à une vérité
universelle.
Toutes ces régions, tous ces domaines, sont remplis d'êtres qui
existent chacun dans son domaine, et si l'on est éveillé et conscient dans un
plan donné — par exemple, si en sortant d'un corps plus matériel on s'éveille
sur un plan supérieur quelconque —, on a le même rapport avec les choses et les
gens de ce plan-là qu'avec les choses et les gens du monde matériel;
c'est-à-dire qu'il existe un rapport tout à fait objectif, qui n'a rien à voir
avec l'idée que vous vous faites des choses. Naturellement, la ressemblance est
de plus en plus grande à mesure que l'on s'approche du monde physique, du monde
matériel; et même il y a un moment où une région a une action directe sur
l'autre. En tout cas, dans ce que Sri Aurobindo appelle les domaines du
surmental, vous trouvez une réalité concrète, tout à fait indépendante de votre
expérience personnelle; vous y retournez et vous retrouvez les mêmes choses,
avec des différences qui se sont produites pendant votre absence. Et vous avez
des rapports avec ces êtres-là, identiques aux rapports que vous avez avec des
êtres physiques, avec cette différence que c'est plus plastique, plus souple,
plus direct — par exemple, il y a cette capacité de changer de forme extérieure,
la forme visible, suivant l'état intérieur dans lequel vous vous trouvez —, mais
vous pouvez donner un rendez-vous à quelqu'un et vous trouver présent au
rendez-vous et retrouver le même être avec certaines différences
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qui
se sont produites pendant le temps de votre absence; c'est tout à fait concret,
avec des effets tout à fait concrets.
Il faut, au moins, un peu de cette expérience pour comprendre
ces choses. Autrement, si l'on est convaincu que tout cela n'est que de
l'imagination humaine et des formations mentales, si l'on croit que ces dieux
ont telle ou telle forme parce que les hommes les ont pensées comme cela et
qu'ils ont tels défauts et telles qualités parce que les hommes les ont pensés
comme cela — tous ceux qui disent que Dieu est fait à l'image de l'homme et
qu'il n'existe que dans la pensée humaine — tous ceux-là ne comprendront pas,
cela leur paraîtra tout à fait ridicule, de la folie. Il faut avoir vécu un peu,
touché un peu au sujet, pour savoir à quel point c'est une chose concrète.
Naturellement les enfants savent beaucoup, si on ne les gâtait
pas. Il y a tant d'enfants qui retournent au même endroit toutes les nuits et
continuent à vivre une vie qu'ils ont commencée là-bas. Quand ces facultés ne
sont pas gâtées avec l'âge, on peut les conserver avec soi. Du temps où je
m'intéressais spécialement aux rêves, je pouvais retourner exactement à un
endroit et continuer un travail que j'avais commencé, visiter quelque chose, par
exemple, un travail d'organisation ou de découverte, d'exploration : on va
jusqu'à un certain endroit, comme quand on va dans la vie, ensuite on se repose,
puis on retourne et on recommence — on recommence l'action à l'endroit où on l'a
laissée et on continue. Et vous vous apercevez qu'il y a des choses qui sont
tout à fait indépendantes de vous, en ce sens que des variations dont vous
n'êtes pas du tout l'auteur, se sont produites automatiquement pendant votre
absence.
Mais pour cela, il faut vivre ces expériences soi-même,
il faut voir soi-même, les vivre avec assez de sincérité et de spontanéité pour
voir qu'elles sont indépendantes de la formation mentale.
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Parce que l'on peut faire la contrepartie, et l'étude
approfondie de l'action de la formation mentale sur les événements — cela, c'est
très intéressant, mais c'est un autre domaine. Et cette étude vous rend très
soigneux, très prudent, parce que l'on s'aperçoit à quel point on peut
s'illusionner soi-même. Il faut donc étudier l'un et l'autre, le rêve et la
réalité occulte, pour voir quelle est la différence essentielle entre les
deux. L'un qui dépend de nous, l'autre qui existe en soi, tout à fait
indépendamment de la pensée que l'on en a.
Quand on a travaillé dans ce domaine-là, on se rend compte en
effet, que si l'on a étudié un sujet, si l'on a appris mentalement quelque
chose, cela donne une coloration spéciale à l'expérience; l'expérience peut être
tout à fait spontanée et sincère, mais le simple fait d'avoir connu le sujet et
de l'avoir étudié, donne une qualité particulière, tandis que si l'on n'a rien
appris sur la question, si l'on ne sait rien du tout, la notation est tout à
fait spontanée et sincère quand vient l'expérience; elle peut être plus ou moins
adéquate, mais elle n'est pas le résultat d'une formation mentale antérieure.
Naturellement, cette connaissance occulte ou cette expérience
n'est pas très fréquente dans le monde, parce que, chez ceux qui n'ont pas de
vie intérieure développée, il y a véritablement des trous entre la conscience
extérieure et la conscience la plus profonde; ce sont des joints d'états d'être
qui manquent et qu'il faut construire. Alors, quand les gens entrent là-dedans
pour la première fois, ils sont affolés, ils ont l'impression qu'ils tombent
dans la nuit, dans le néant, dans le non-être !
J'avais un ami danois, un peintre, qui était comme cela. Il
voulait que je lui apprenne à sortir de son corps; il avait des rêves
intéressants et pensait que cela vaudrait la peine d'aller là consciemment. Je
l'ai donc fait "sortir" — mais cela a été une épouvante !... Quand il rêvait, il
y avait bien une partie de son mental qui restait consciente, active, et il
existait une sorte de jonction entre cette partie active et son être extérieur,
alors il se souvenait de certains de ses rêves,
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mais ce n'était qu'un
phénomène très partiel. Et sortir de son corps, cela veut dire qu'il faut passer
graduellement par tous les états d'être, si on le fait systématiquement.
Eh bien, déjà au physique subtil c'était presque in individualisé, et dès que
l'on s'en allait plus loin, il n'y avait plus rien, ce n'était pas formé, pas
individualisé.
Ainsi, quand on offre aux gens de méditer et qu'on leur dit de
s'intérioriser, de rentrer au-dedans d'eux-mêmes, ils ont une angoisse —
naturellement ! ils ont l'impression qu'ils disparaissent, et cour cause : 11
n'y a rien, il n'y a. cas de conscience l Ces choses qui nous paraissent tout à
fait naturelles, évidentes, pour des gens qui ne savent rien, c'est de
l'imagination dévergondée. Si vous transplantez ces expériences ou cette
connaissance en Occident par exemple, eh bien, à moins que vous ne fréquentiez
des milieux occultistes, on vous regarde avec des yeux... et quand vous avez le
dos tourné, on s'empresse de dire :
"Ces gens-là sont timbrés !"
Pour revenir aux dieux et conclure, il faut dire que tous les
êtres qui n'ont jamais eu d'existence terrestre — dieux ou dé-morts, êtres et
puissances invisibles — ne possèdent pas ce que le Divin a mis dans l'homme :
l'être psychique. Et cet être psychique donne à l'homme l'amour vrai, la
charité, la compassion, la bonté profonde, qui compensent tous les défauts
extérieurs.
Chez les dieux, la faute n'existe pas, parce qu'ils vivent selon
leur nature propre, spontanément et sans contrainte : c'est leur manière de
dieux. Mais si on se place à un point de vue supérieur, si l'on a une vision
supérieure, une vision d'ensemble, il leur manque certaines qualités qui sont
exclusivement humaines. Par sa capacité d'amour et de don de soi, l'homme peut
avoir autant de puissance que les dieux, et même plus, quand il n'est pas
égoïste, quand il peut surmonter son égoïsme.
S'il remplit la condition voulue, l'homme est plus près du
Suprême que les dieux, il peut être plus près.
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Il ne l'est pas automatiquement, il a le pouvoir de l'être, la potentialité. Si
l'amour humain se manifestait sans mélange, il serait tout-puissant.
Malheureusement, dans l'amour humain il y a autant d'amour de soi que d'amour de
celui qu'on aime; ce n'est pas un amour qui vous fait vous oublier.
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