|
Le 15 juin 1955
Cet Entretien est basé sur le chapitre 1 de Lumières sur le Yoga, "Le But".
Douce Mère, qu'est-ce que c'est, "la réalisation dynamique" ?
C'est la réalisation qui s'exprime en action. Il y a une réalisation dans l'inaction, comme celle de ceux qui entrent dans des contemplations dont ils ne sortent plus et qui ne bougent pas ; et puis il y a une réalisation dynamique qui transforme toute votre action, tous vos mouvements, toute votre manière d'être, votre caractère. Dans le premier cas, on reste extérieurement le même, rien ne change, et généralement cela abolit toute possibilité d'action, on ne peut plus rien faire, on reste assis... Dans le second cas, ça change tout, votre caractère, votre manière d'être, votre manière d'agir, toutes vos actions et même votre entourage, et finalement toute votre existence, votre être total : ça, c'est la réalisation dynamique, avec la transformation du corps comme aboutissement. Il y a des gens qui essayent de transformer leur corps avant même d'avoir transformé leur intelligence, et ça produit un décalage complet, ça les déséquilibre totalement. Il faut d'abord transformer sa pensée, tout son mental, toute son activité mentale, l'organiser avec la connaissance supérieure ; et en même temps il faut transformer son caractère, tous les mouvements du vital, toutes les impulsions, toutes les réactions. Et finalement, quand ces deux choses-là sont faites, en tout cas jusqu'à un certain point, alors on peut commencer à songer à transformer les cellules de son corps ; mais pas commencer par le bout, il faut commencer par le commencement. On peut faire... Sri Aurobindo dit, n'est-ce pas, qu'on peut tout mener de front, mais il faut que le centre, Page –218 la partie la plus importante soit d'abord suffisamment transformée avant qu'on ne puisse penser à transformer son corps... comme il y a des gens qui veulent immédiatement, par exemple, changer toute leur nourriture ou même s'arrêter de manger, parce qu'ils disent que finalement, quand le Supramental sera là, on n'aura plus besoin de manger. Alors, avant que le Supramental vienne, ils veulent d'abord commencer par ce qui arrivera ; ils s'arrêtent de manger, ils s'arrêtent de dormir, et le résultat est qu'ils tombent très malades. Il vaut mieux d'abord commencer par recevoir le Supramental dans son esprit avec une connaissance suffisante, et petit à petit arriver à transformer tout le reste.
Douce Mère, qu'est-ce que c'est que l'aspect dynamique ?
C'est la même chose. C'est ce côté du yoga. Il y a deux aspects : un aspect qui est statique et qui est une préparation, et puis un aspect dynamique qui est un aspect de transformation, d'action. Dynamique, ça veut dire énergique ; ça veut dire propulsion, action.
Qu'est-ce que cela veut dire, "le côté négatif" et "le côté positif" d'une expérience ?
Ah, mon petit, tu as des défauts, n'est-ce pas, des choses qui t'empêchent de progresser ; alors, le côté négatif, c'est de te débarrasser de tes défauts. Il y a des choses que tu dois être, devenir, des qualités qu'il faut que tu construises en toi-même pour pouvoir réaliser ; alors ce côté de la construction, c'est le côté positif. Tu as un défaut, par exemple une propension à ne pas dire la vérité. Alors cette habitude de mensonge, de ne pas voir ou ne pas dire la vérité, tu luttes contre ça en rejetant le mensonge de la conscience, et en tâchant d'éliminer cette habitude de ne pas dire la vérité. Page –219 Pour que la chose soit faite, il faut construire en soi l'habitude de ne dire que la vérité. Pour que la chose soit faite, il faut construire en soi l'habitude de percevoir et de toujours dire la vérité. L'un est négatif : tu supprimes un défaut. L'autre est positif : tu construis la qualité. C'est comme ça. Pour toutes choses c'est comme ça. Par exemple, on a quelque part dans son être cette espèce d'habitude de révolte, de révolte ignorante, arrogante, obscure, de refus de ce qui vient d'en haut. Alors le côté négatif c'est de lutter contre ça, de l'empêcher de se manifester et de le rejeter de sa nature ; et de l'autre côté, il faut construire positivement la soumission, la compréhension, la consécration, le don de soi et le sens d'une complète collaboration avec les forces divines. Ça, c'est le côté positif. Tu comprends ? La même chose aussi : des gens qui se mettent en colère... l'habitude de s'emporter, de se mettre en colère... on lutte contre ça, on refuse de se mettre en colère, on rejette ces vibrations de colère de son être, mais il faut remplacer ça par un calme imperturbable, une tolérance parfaite, une compréhension du point de vue des autres, une vision claire et tranquille, une décision calme — qui est le côté positif.
Qu'est-ce que c'est, "l'image de la noix de coco sèche"?
On dit que quand on a réalisé (c'est là qu'il le dit), alors on devient comme la noix de coco séchée qui bouge dans la coquille, qui est libre dedans, qui n'est plus attachée à l'enveloppe et qui bouge librement dedans. C'est ça que j'ai entendu, c'est l'image qu'il n'y a plus d'attachement. Tu as vu cela, quand une noix de coco devient tout à fait sèche, la noix au-dedans n'est plus tenue à la coquille ; et alors quand on la bouge, ça bouge dedans ; c'est tout à fait libre, c'est absolument indépendant de la coquille. Alors on donne l'image de l'être : la conscience physique ordinaire, c'est la coquille ; Page –220 et tant que l'Atman n'est pas complètement formé il est attaché, il tient, il est collé à la coquille, et on ne peut le détacher ; et quand il est tout à fait formé, alors il est au-dedans absolument libre, il roule librement dans la coquille sans être lié à elle. Ça doit être cette image-là.
Douce Mère, qu'est-ce que cela veut dire : "... il faut que l'obéissance du Pourousha soit transférée de la Prakriti inférieure avec son jeu de forces ignorantes, à la suprême Shakti divine, la Mère."
Tu ne sais pas ce que ça veut dire ? Dans le cas ordinaire, de l'être ordinaire et de la vie ordinaire, le Pourousha est soumis à la Prakriti, à la Nature extérieure, il est son esclave. Alors Sri Aurobindo dit que ce n'est pas assez de se libérer de cet esclavage. Il commence comme ça : il ne suffit pas de se libérer de cet esclavage ; il faut qu'il garde son obéissance, mais au lieu d'obéir à la Prakriti, il faut qu'il obéisse à la Mère Divine ; c'est-à-dire, au lieu d'obéir à quelque chose qui lui est inférieur, il faut qu'il obéisse à ce qui lui est supérieur. C'est ça, la phrase : transférer son obéissance d'ici à là. Tu comprends ? Non ? Ah, c'est probablement quelqu'un qui lui a écrit en lui disant qu'il voulait que son Pourousha soit complètement libre de l'obéissance à la Prakriti. Alors il a répondu : non, ça ne suffit pas ; si vous le libérez, ce n'est que la moitié du travail ; votre obéissance doit exister, mais au lieu d'exister vis-à-vis de la Prakriti, elle doit exister vis-à-vis de la Mère Divine. Et puis après, il explique la différence. Il y a tout un passage, là, où il dit qu'il ne faut pas confondre la Mère Divine avec la Prakriti. Naturellement il y a quelque chose de la Mère Divine, parce qu'il y a quelque chose de la Mère Divine derrière tout. Mais il ne faut pas considérer que la Prakriti, c'est la Mère Divine. Page –221 (Nolini) C'est le côté négatif et le côté positif (comme ce que Tara a demandé) de l'obéissance à la Prakriti.
L'obéissance à la Prakriti, oui, c'est vrai. Se débarrasser de l'obéissance à la Prakriti, c'est le côté négatif du développement ; on se libère de son obéissance à la Prakriti ; mais il faut faire un pas de plus, et avoir le côté positif d'être soumis à la Mère Divine.
La dernière phrase : "... dans la création de Vérité, la loi est celle d'un déploiement constant sans aucun pralaya." Qu'est-ce que ce déploiement constant?
La création de Vérité... C'est la dernière ligne ? (Mère consulte le livre) Je crois que nous avons déjà parlé de cela plusieurs fois. Il a été dit que dans le processus de création, il y a le mouvement de la création suivi par un mouvement de conservation et se terminant par un mouvement de désintégration ou de destruction ; et même il a été répété très souvent : "Tout ce qui commence doit finir", etc., etc. En fait, dans l'histoire de notre univers, il y a eu six périodes consécutives qui ont commencé par une création, se sont prolongées par une force de conservation et ont fini par une désintégration, une destruction, un retour à l'Origine, que l'on appelle pralaya ; et c'est pour ça que cette tradition est là. Mais il a été dit qu'à la septième création, ce serait une création progressive, c'est-à-dire qu'après le point de départ de la création, au lieu simplement que ce soit suivi par une conservation, ce serait suivi par une manifestation progressive qui exprimerait le Divin d'une, façon de plus en plus complète, de sorte que toute désintégration et retour à l'Origine ne seraient pas nécessaires. Et il a été annoncé que la période dans laquelle nous sommes est justement la septième, c'est-à-dire qu'elle ne se terminerait pas par un pralaya, un retour à l'Origine, une destruction, une disparition, mais qu'elle serait remplacée par un progrès constant, Page –222 parce que ce serait un déploiement de plus en plus parfait de l'Origine divine dans sa création. Et c'est ce que dit Sri Aurobindo. Il parle d'un déploiement constant, c'est-à-dire que le Divin se manifeste de plus en plus complètement, de plus en plus parfaitement, dans une création progressive. C'est cette nature de progression qui fait que le retour à l'Origine, la destruction ne sont plus nécessaires. Tout ce qui ne progresse pas disparaît, et c'est pourquoi les corps physiques meurent, c'est parce qu'ils ne sont pas progressifs ; ils sont progressifs jusqu'à un certain moment, puis là ils s'arrêtent et le plus souvent ils restent stables pendant un certain temps, et puis ils commencent à décliner, et puis ils disparaissent. C'est parce que le corps physique, la matière physique telle qu'elle est maintenant n'est pas suffisamment plastique pour pouvoir progresser constamment. Mais il n'est pas impossible de la rendre suffisamment plastique pour que le perfectionnement du corps physique soit tel qu'il n'ait plus besoin de la désintégration, c'est-à-dire de la mort. Seulement, cela ne peut être réalisé que par la descente du Supramental qui est une force supérieure à toutes celles qui se sont manifestées jusqu'à présent, et qui donnera au corps une plasticité qui lui permettra de progresser constamment, c'est-à-dire de suivre le mouvement divin dans son déploiement.
Douce Mère, je fais une confusion. là, il est écrit : "Mais celui qui n'a pas conquis et vécu les vérités du Surmental ne peut atteindre à la vérité supramentale." Oui. C'est ici que je fais la confusion. Souvent vous avez dit que le gouvernement du Surmental est fini et que le gouvernement du Supramental est à venir, et qu'on n'a pas besoin de faire les mêmes expériences de /'Overmind, parce que c'est déjà fait. Page –223 Qu'est-ce qu'il dit ? Pavitra, vous comprenez ce qu'il dit ?
(Pavitra) Mère, tu as dit plusieurs fois que le règne de /'Overmind est terminé, et maintenant c'est le règne du Supramental.
Oui, d'une façon, oui.
Par conséquent, il n'est pas nécessaire de passer par les expériences de /'Overmind pour atteindre le Supramental.
J'ai dit qu'il n'y avait pas besoin de passer par les expériences de l'Overmind pour avoir les expériences supramentales ? Est-ce que j'ai jamais dit une chose pareille?
Je ne dis pas que vous avez dit cela, mais peut-être que je l'ai compris comme cela.
Ah, enfin ! En tout cas je ne le pense pas. Je ne sais pas si je l'ai dit, mais je ne le pense pas, parce que nous sommes dans une période de transition. Il est tout à fait certain que, d'une façon générale, c'est encore l'Overmind qui gouverne et que, si le Supramental vient... c'est seulement commencer à venir et à avoir une influence, et que dans une période de transition ce que Sri Aurobindo dit ici est tout à fait évident : si vous ne comprenez rien à l'Overmind, vous comprendrez encore moins au Supramental. Et il a répété, je ne sais combien de fois, qu'il ne faut pas essayer de sauter jusqu'en haut sans avoir gravi tous les échelons. Encore... quand est-ce que j'ai lu... il n'y a pas si longtemps... qu'il était nécessaire de gravir tous les échelons pour aller en haut? Vous ne pouvez pas faire un bond et négliger tout le reste. Ce n'est pas possible. Vous pouvez le faire vite. Ce qui peut arriver, c'est que ce qui prenait plusieurs existences peut se faire en quelques années, ou même peut-être en quelques mois ; mais il faut que vous le fassiez. Page –224 Quand nous aurons tous des corps supramentals et que nous serons intérieurement dans la conscience supramentale, nous pourrons peut-être fabriquer des petits êtres supramentals qui n'auront pas besoin de passer par ces expériences ! Mais c'est seulement "quand", ce n'est pas maintenant, (rires) Il ne faut pas espérer les choses avant qu'elles se fassent. Elles se feront, mais un petit peu plus tard. Page –225 |