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Toute idée, si puissante, si profonde soit-elle, qui est répétée trop souvent, exprimée de façon trop constante devient fade, insipide, sans valeur ... Les plus hauts concepts se déflorent ainsi après quelque temps et l'intelligence qui s'est complu dans les spéculations transcendantes sent tout d'un coup un impérieux besoin d'abandonner tous les raisonnements et toute sa philosophie pour contempler la vie d'un regard émerveillé d'enfant, pour ne plus rien savoir de toute sa science passée, fût-elle même une science souverainement divine ...
Il est vrai de dire que les divisions du temps sont purement arbitraires, que la date assignée au renouvellement de l'année varie suivant les latitudes, les climats, les habitudes et qu'elle est purement conventionnelle. Ceci est l'attitude mentale qui sourit aux enfantillages des hommes et veut se laisser guider par les vérités plus profondes. Et puis tout d'un coup le mental lui-même sent son impuissance à les traduire exactement et renonçant à toute sagesse de ce genre, il laisse s'élever le chant du cœur qui aspire et pour qui toute circonstance est une occasion d'aspiration plus profonde, plus vaste et plus intense ... L'année d'Occident se renouvelle : pourquoi ne pas en profiter pour vouloir avec une ardeur renouvelée que ce symbole devienne une réalité et que les choses qui furent, lamentablement, fassent place à celles qui doivent être, glorieusement? ... Page – 315 Nous croyons toujours pouvoir Te définir, T'enserrer dans nos formules mentales; mais si vastes, si complexes, si synthétiques soient-elles, Tu resteras toujours l'Inexprimable, même pour celui qui Te connaît et Te vit ... Car on peut Te vivre sans pouvoir T'exprimer; on peut être et réaliser Ton infini sans pouvoir Te définir ni T'expliquer; et Tu resteras toujours l'éternel mystère, digne de tous les émerveillements; non pas seulement dans Ta Transcendance impensable et même inconnaissable, mais dans Ta manifestation universelle, dans tout ce que nous sommes intégralement. Et toujours les formes de pensée succéderont aux formes, toujours plus pures, plus hautes, plus compréhensives, mais jamais aucune d'elles ne sera jugée suffisante pour donner seulement une idée de ce que Tu es. Et chaque fait nouveau sera un nouveau problème plus merveilleux et mystérieux que tous les précédents. Pourtant devant son ignorance et son impuissance l'être mental reste lumineux, souriant et calme comme s'il possédait la connaissance suprême : celle d'être Toi innombrablement, invariablement, infiniment, tout simplement. Page – 316
Plus que jamais l'aspiration de l'être mental est montée vers Toi avec une grande ferveur ... La perception de l'infini et de l'éternité est toujours présente. Mais c'est comme si Tu avais voulu me sevrer de toute joie religieuse, de toute extase spirituelle, pour me plonger dans les circonstances les plus étroitement matérielles. Partout, Seigneur, est Ta parfaite félicité, et rien ne peut me retirer le don grandiose que Tu m'en as fait; en tout lieu et en toute circonstance elle est avec moi, elle est moi comme je suis Toi. Mais tout cela n'est rien à côté de ce qui devrait être. Tu veux que, du sein de cette lourde et obscure matière, je fasse jaillir le volcan de Ton Amour et de Ta Lumière; Tu veux que, rompant toutes les vieilles conventions de langage, s'élève un Verbe propre à T'exprimer et qui ne fut jamais entendu; Tu veux que l'union se fasse intégrale entre les plus petites choses d'en bas et les plus vastes, les plus sublimes d'en haut; et c'est pourquoi, Seigneur, me sevrant de toute joie religieuse et de toute extase spirituelle, me privant de toute liberté pour me concentrer sur Toi exclusivement, Tu m'as dit "Travaille comme un homme ordinaire au sein des êtres ordinaires; apprends à n'être rien de plus qu'eux dans tout ce qui se manifeste; associe-toi à leur manière d'être intégrale; car au-delà de tout ce qu'ils connaissent, de tout ce qu'ils sont, tu portes en toi le flambeau de la splendeur éternelle qui ne vacille pas, et, en t'associant à eux, c'est cela que tu apporteras au milieu d'eux. Page – 317 As-tu besoin de jouir de cette lumière, pourvu que tu la répandes? Est-il nécessaire que tu sentes vibrer en toi mon amour, pourvu que tu le donnes? Faut- il que tu goûtes intégralement les béatitudes de ma présence, pourvu que tu lui serves d'intermédiaire auprès de tous?"
Que Ta volonté soit faite, Seigneur, intégralement !
Elle est mon bonheur et ma loi. Page – 318
Maintenant, Seigneur, les choses sont changées. Le temps du repos et de la préparation est passé. Tu as voulu que, de serviteur passif et contemplatif, je devienne serviteur actif et réalisateur; Tu as voulu que l'acceptation joyeuse soit transformée en combat joyeux, et que dans un effort constant et héroïque contre tout ce qui s'oppose dans le monde à l'accomplissement de Ta loi dans son expression actuellement la plus pure et la plus haute, je retrouve le même équilibre paisible et immuable, qui se possède dans la soumission à Ta loi telle qu'elle s'accomplit à présent, c'est-à-dire sans entrer en lutte directe avec tout ce qui s'oppose à elle, tirant de toute circonstance le meilleur et agissant par la contagion, l'exemple, l'infusion lente.
Dans un combat partiel et limité, mais représentatif de la grande lutte terrestre, Tu mets à l'épreuve ma puissance, ma décision et mon courage, pour voir si je puis être vraiment Ton serviteur. Si le résultat de la bataille montre que je suis digne d'être l'intermédiaire de Ton action régénératrice, alors Tu étendras le champ d'action. Et si je me montre toujours à la hauteur de ce que Tu attends de moi, un jour viendra, Seigneur, où Tu seras sur la terre, et la terre tout entière se lèvera contre Toi. Mais Tu prendras la i terre dans Tes bras et la terre sera transformée. Page – 319
Seigneur, écoute ma prière ...
En moi Tu es tout-puissant, souverain Maître de ma destinée, conducteur de ma vie, vainqueur de tous les obstacles, triomphateur des volontés préconçues et des partis pris du mental. Peut-être pour être tout-puissant au dehors, as-Tu besoin de l'intermédiaire de mon mental organisateur et formateur des moyens d'action; mais si Tu peux rendre l'instrument parfait, comment douter que l'œuvre s'accomplisse ! Il faut chasser bien loin toutes les ombres mauvaises qui suggèrent le contraire, et, pleine d'une inébranlable confiance dans Ton infinie miséricorde, je T'adresse cette prière :
Transforme Tes ennemis en amis,
Change l'obscurité en lumière,
Que dans cette lutte héroïque et immense, dans cette lutte sublime de l'amour contre la haine, de la justice contre l'injustice, de l'obéissance à Ta suprême loi contre la révolte, je puisse peu à peu rendre l'humanité digne d'une paix plus sublime encore, où toutes les dissensions intestines ayant cessé, l'effort humain tout entier s'unisse pour atteindre à la réalisation de plus en plus parfaite et intégrale de Ta divine volonté et de Ton progressif idéal. Page – 320
Seigneur, je suis restée longuement silencieuse devant Toi, dans une de ces prosternations intérieures pleines d'ardente adoration et qui aboutissent à une suprême identification ... Et comme toujours Tu m'as dit : "Tourne ton regard vers la terre." Et j'ai vu tous les chemins largement ouverts et rayonnants d'une lumière calme et pure.
Dans une muette adoration, tout imprégnée de Ta volonté, je me suis tournée vers la terre. Page – 3121
Seigneur de Vérité, par trois fois je T'ai invoqué avec une grande ferveur, implorant Ta manifestation.
Puis selon son habitude, l'être intégral T'a fait son entière soumission. À ce moment la conscience a perçu l'être individuel, mental, vital et physique, qui était entièrement recouvert de poussière et cet être s'est prosterné devant Toi, le front touchant la terre, poussière dans la poussière, en Te disant : "Ô Seigneur, cet être fait de poussière se prosterne devant Toi demandant à être consume du feu de la Vérité afin de ne plus manifester que Toi." Alors Tu lui as dit : "Lève-toi, tu es pur de toute poussière." Et d'un seul coup, subitement, toute la poussière s'est détachée comme un manteau qui tombe à terre, et l'être parut debout, tout aussi substantiel, mais resplendissant d'une éblouissante lumière. Page – 322 À bord du Kamo Maru. Le 3 mars 1915
C'est l'âpre solitude... et toujours cette forte impression d'avoir été précipitée, tête baissée, dans un enfer d'obscurité. À aucun moment de ma vie, dans aucune circonstance, jamais il ne m'a semblé vivre dans un milieu aussi totalement contraire à tout ce dont j'ai conscience comme vrai, à tout ce qui est l'essence même de ma vie. Parfois lorsque l'impression et le contraste se font particulièrement intenses, je ne puis éviter que la soumission intégrale se teinte de mélancolie, et que le calme et muet colloque avec le Maître intérieur se transforme pour un instant en une invocation presque suppliante : "Qu'ai-je fait, Seigneur, pour que Tu me jettes ainsi dans la sombre nuit?" Mais de suite, l'aspiration se fait plus ardente : "Épargne à cet être toute défaillance, permets qu'il soit l'instrument docile et clairvoyant de Ton œuvre quelle qu'elle soit."
Pour le moment la clairvoyance manque : jamais l'avenir ne fut plus voilé. Il semble que nous nous avancions vers un mur haut et impénétrable pour tout ce qui concerne les destinées individuelles. Quant aux destinées nationales et terrestres, elles apparaissent plus nettement. Mais de celles-là, il est inutile de parler : l'avenir les révélera clairement aux yeux de tous, même des plus aveugles. Page – 323
Toujours l'âpre solitude ... mais elle n'est pas douloureuse, au contraire. En elle se révèle plus clairement l'infini et pur amour dans lequel la terre entière est immergée. Par cet amour, tout vit et s'anime; les pires ombres deviennent comme translucides pour laisser passer ses effluves, et la plus intense douleur se transforme en puissante félicité.
Chaque tour d'hélice sur l'océan profond semble m'entraîner plus loin de ma destinée véritable, de celle qui exprime le mieux le Vouloir divin; chaque heure qui passe semble me replonger davantage dans ce passé avec lequel j'avais rompu, certaine d'être appelée à de nouvelles et plus vastes réalisations; tout paraît me tirer en arrière vers un état de choses totalement contraire à la vie de mon âme qui règne incontestée sur les activités extérieures; et, malgré la tristesse apparente de la situation individuelle, la conscience est si fortement établie dans un monde qui déborde de toutes parts les limites personnelles, que l'être entier exulte dans une constante perception de puissance et d'amour.
Demain, dans le fait matériel, est obscur et illisible; aucune lumière, si faible soit-elle, ne révèle à mon regard confondu l'indication, la présence du Divin. Mais quelque chose dans la conscience profonde se tourne vers l'Invisible et Souverain Témoin et lui dit : "Tu me plonges, Page – 324 Seigneur, dans les plus opaques ténèbres; c'est donc que Tu as établi en moi si fortement Ta lumière que Tu sais qu'elle résistera à cette périlleuse épreuve. M'aurais-Tu choisie pour descendre dans le tourbillon de cet enfer comme Ton porte-flambeau ? Jugerais-Tu que mon cœur est assez fort pour ne pas défaillir, ma main assez ferme pour ne pas trembler? Et pourtant l'être individuel se sait impuissant et faible; lorsque Tu ne manifestes pas Ta Présence, il est plus démuni que la majorité de ceux qui T'ignorent ou Te négligent. En Toi seul est sa force et sa capacité. S'il Te plaît de Te servir de lui, rien ne sera trop difficile à accomplir, aucune tâche trop vaste et complexe. Mais si Tu Te retires, il ne reste plus qu'un pauvre enfant capable seulement de se blottir dans Tes bras, et de s'y endormir de ce doux sommeil sans rêves où plus rien n'existe que Toi." Page – 325
Il est passé le temps du doux silence mental, si paisible et si pur, à travers lequel se faisait sentir la volonté profonde qui s'exprimait dans sa toute-puissante vérité. Maintenant la volonté ne se perçoit plus et le mental redevenu nécessairement actif, analyse, classe, juge, choisit, réagit constamment, comme agent transformateur, sur tout ce qui s'impose à l'individualité élargie au point d'être en rapport avec un monde infiniment vaste, complexe et mélangé d'ombre et de lumière comme tout ce qui appartient à la terre. C'est l'exil hors de tous les bonheurs spirituels, et, de toutes les épreuves. Seigneur, c'est certes la plus douloureuse que Tu puisses imposer. Surtout le retrait de la Volonté qui semble être : un signe de si totale désapprobation. Forte est l'impression croissante du rejet; il faut toute l'ardeur d'une foi inlassable pour que la douleur n'envahisse pas irrémédiablement la conscience extérieure ainsi abandonnée à elle-même ...
Mais elle ne veut pas désespérer, elle ne veut pas croire au malheur irréparable; elle attend î avec humilité, dans l'effort et la lutte obscurs et cachés, que le souffle de Ta joie parfaite la pénètre à nouveau. Et, peut-être, chacune de ses modestes et secrètes victoires est-elle une aide véritable apportée à la terre ...
S'il était possible de sortir définitivement de cette conscience extérieure, de se réfugier dans la conscience divine ... Page – 326 Mais cela Tu l'as interdit, et Tu l'interdis constamment : pas de fuite hors du inonde; le fardeau d'ombre et de laideur doit être porte jusqu'au bout, même si l'aide divine semble s'être retirée; au sein de la nuit il faut rester et marcher, même sans boussole, sans phare, sans guide intérieurs ...
Je ne veux même pas implorer Ta miséricorde, car ce que Tu veux pour moi, je le veux aussi; et toute mon énergie se tend uniquement pour avancer, avancer toujours, un pas après l'autre, malgré la profondeur des ténèbres et les obstacles du chemin; quoiqu'il arrive, Seigneur, c'est avec un amour fervent et invariable que Ta décision sera accueillie. Et même si Tu as trouvé l'instrument impropre à Te servir, l'instrument ne s'appartient plus; il est Tien ... Tu peux le détruire ou le magnifier; mais lui n'existe pas en lui-même et ne veut et ne peut rien sans Toi... Page – 327
D'une façon générale, l'état est celui d'une calme et profonde indifférence; l'être n'éprouve ni désir ni répulsion, ni enthousiasme ni dépression, ni joie ni peine. Il regarde la vie comme un spectacle auquel il ne prendrait que la plus petite part; il perçoit les actions et les réactions, les conflits de forces, comme à la fois appartenant à son être qui déborde de toutes parts la petite individualité passagère, et tout à fait étrangers à cette individualité.
Mais de temps en temps un grand souffle passe, un grand souffle fait de douleur, d'angoissant isolement, de pauvreté spirituelle; on dirait l'appel désespéré de la terre abandonnée par le Divin ... et c'est une peine silencieuse autant que cruelle, soumise, sans révolte, une peine sans désir de l'éviter ou d'en sortir et pleine d'une infinie douceur où se joignent étroitement la souffrance et la félicité; quelque chose d'infiniment vaste, grand, profond ; trop grand et trop profond peut-être pour être compris des hommes ... quelque chose qui contient le germe de demain ... Page – 328
Un besoin impérieux m'a poussée à reprendre ce confident de mes recherches et de mes efforts d'âme.
Toutes les circonstances extérieures sont changées, venant donner un net démenti au rêve d'idéal qui voulait être vécu jusque dans les activités matérielles. L'heure n'est pas encore venue pour les joyeuses réalisations dans le fait physique extérieur. L'être corporel est replongé dans la terne et monotone nuit dont il avait voulu s'extraire trop hâtivement; et Ta volonté réalisée, Seigneur de Vérité, est venue dire au mental constructeur : "Tu ne conçois pas que cela soit vrai, et pourtant cela est." Le mental, de bonne grâce, a reconnu qu'il s'était trompé et a fait sa soumission parfaite à tout ce que Tu veux qui soit. L'être vital est tranquillement satisfait en toutes les circonstances. Le sentiment vit dans une paix égale et pure; tout l'être est inondé de Ta vaste, Ton éternelle lumière; Ton amour le pénètre et l'anime. Et pourtant l'impression que le fait extérieur est un mensonge ne s'est pas effacée, et le corps, malgré son incontestable bonne volonté, est si profondément secoué qu'il n'arrive pas à rattraper son équilibre de santé.
Toute la vie terrestre de cet être, depuis son début jusqu'à la minute présente, lui fait l'effet d'un rêve irréel, très loin de lui, n'ayant presque Page – 329 plus aucun contact avec lui; tout ce mécanisme extérieur n'est plus qu'une mécanique qu'il fait mouvoir parce que telle est la volonté de sa Réalité centrale, mais qui ne l'intéresse pas plus, peut-être même moins parfois, que le mécanisme voisin, ou même le mécanisme inconnu, le produit de la terre de demain. Mais cette terre elle- même lui est étrangère, et, comme il n'a pas conscience d'autre chose, sauf de l'Éternel Silence, toute vie en forme lui paraît lointaine et presque irréelle; il lui semble étrange qu'on puisse désirer quelque chose puisqu'elle n'est pas, ou préférer une chose à une autre puisqu aucune ne sont. Mais en même temps il ne voit pas pourquoi il se refuserait à un acte quel qu'il soit, puisqu'ils sont tous également irréels, et il ne sent nulle nécessité de fuir un monde qui n'est pas et ne saurait être un fardeau, puisque son existence est tellement inexistante.
Le tout donne une sorte d'impression de vide qui serait plein d'une lumière, d'une paix, d'une immensité, échappant à toute forme et à toute définition. C'est le néant, mais un néant qui est réel et qui peut durer éternellement, car il est, tout en ayant l'immensité parfaite de ce qui n'est pas ... Pauvres mots qui s'essayent à dire ce que le silence même ne saurait exprimer.
L'état qui essaie ainsi de se définir en termes maladroits, s'est installé progressivement depuis quelques semaines, et, chaque jour qui passe l'établit de façon plus définitive, plus profonde, pour ainsi dire plus irrémédiable. Page – 330 Sans l'avoir voulu, cherché ni désiré, l'être s'enfonce en lui de plus en plus, perdant de plus en plus aussi conscience de lui-même, dans une Conscience qui n'est plus individuelle, et dont l'immobilité est inexprimable; dans une Conscience dont il n'est plus possible de se distinguer. Page – 331
Un jour, Seigneur, Tu appris à mon mental qu'il pouvait agir pleinement comme moyen de manifestation de Ta divine vérité, comme intermédiaire de Ton éternelle volonté, sans être limité dans ses constructions réalisatrices par le champ étroit des possibilités de l'être extérieur. Jusque-là ce mental, sauf de rares exceptions, avait l'habitude de ne sortir de la muette extase, de la silencieuse contemplation devant Ton inexprimable infini que pour concentrer son effort sur le centre d'action représenté par l'être extérieur; et c'était une sorte d'esclavage dans un cadre trop étroit ; il y avait contradiction entre les puissances de réalisation mentale et l'instrument à travers lequel elles s'efforçaient de se faire jour; le résultat le plus immédiat était le gaspillage et la limitation des énergies mentales, qui, ne trouvant pas satisfaction dans l'activité, retournaient tout naturellement à l'immersion en Ton éternité.
Soudainement Tu as mis fin à ce désordre; Tu as libéré le mental de sa dernière entrave; Tu lui as appris à être actif librement à travers toutes les formes et non plus exclusivement en celles qu'il considérait jusque-là comme siennes, c'est-à-dire comme son moyen naturel d'expression.
L'être vital avait depuis longtemps déjà réalisé cette libération et savait vivre la plénitude des sensations et des émotions en toutes les formes Page – 332 capables de manifester la vie. Mais l'être mental n'avait pas appris encore à animer, à organiser, à illuminer consciemment toutes les vies indifféremment. Tu as fait tomber les barrières, Tu lui as ouvert les portes de Ton infinie manifestation.
En peu de jours la conquête nouvelle s'est affermie, affirmée. Et ce que Tu attends du centre de conscience que mon être intégral constitue actuellement sur terre, s'est développé clairement devant lui : Être la vie en toutes les formes matérielles, la pensée organisant et utilisant cette vie en toutes les formes, l'amour élargissant, éclairant, intensifiant, unissant tous les éléments divers de cette pensée, et ainsi, par une identification totale avec le monde manifesté, pouvoir intervenir avec toute-puissance dans ses transformations.
D'autre part, par la soumission parfaite au Principe Suprême, devenir consciente de la Vérité, et de la Volonté éternelle qui la manifeste. Étant, par cette identification, le serviteur fidèle et l'intermédiaire sûr de la divine Volonté, et unissant cette identification consciente du Principe à l'identification consciente de son devenir, pétrir, modeler consciemment l'amour, le mental et la vie du devenir selon la Loi de Vérité du Principe.
C'est ainsi que l'être individuel peut être l'intermédiaire conscient entre la Vérité absolue et l'univers manifesté, Page – 333 et intervenir dans la marche lente et incertaine du Yoga de la nature pour lui donner le caractère rapide, intense et sûr du Yoga divin.
C'est ainsi, qu'à certaines époques, la vie terrestre intégrale semble franchir miraculeusement des étapes, qui, en d'autres temps, demanderaient des millénaires pour être parcourues.
Actuellement, Seigneur, l'état de soumission parfaite et consciente à Ta volonté éternelle est, autant que je peux savoir, constant, invariable derrière tout acte, tout mouvement, mental, vital ou matériel. Ce calme imperturbable, cette félicité profonde, paisible, invariable, qui ne me quittent pas, n'en sont-ils point la preuve?
L'identification passive, c'est-à-dire réceptive, avec la vie, la pensée et l'amour, en toutes les formes manifestées, est un fait accompli et qui paraît la conséquence inévitable de la soumission à la Vérité pure.
Mais les moments où la conscience est effectivement la vie animant et pétrissant toutes les formes matérielles, l'intelligence organisant la vie, et l'amour illuminant l'intelligence, d'une façon active et pleinement consciente, à la fois dans l'ensemble et le moindre détail, dans un sens d'infinie plénitude et de pouvoirs précis, sont encore intermittents, quoique se faisant de plus en plus fréquents et durables. Page – 334 C'est à ces moments-là que les deux consciences sont simultanées et se fondent en une seule, presque indescriptible, inexprimable, où s'unissent l'Immuable Éternité et l'Éternel Mouvement. C'est à ces moments-là que l'œuvre actuelle commence à s'accomplir. Page – 335 Marsillargues, le 31 juillet 1915
Faut-il, jouant le jeu du serviteur, de l'instrument, me tourner vers Toi, Seigneur, et T'adresser un hymne d'adoration; faut-il, m'identifiant à Toi dans la Réalité éternelle et la Béatitude infinie, parler aux hommes de la paix et "de la joie qu'ils ignorent ... Les deux attitudes sont simultanées, les deux consciences sont parallèles, et, dans cette étroite et indissoluble union, se trouve la Plénitude.
Les Cieux sont conquis définitivement, et rien, ni personne, n'aurait le pouvoir de me les retirer. Mais la conquête de la terre est encore à faire; elle se poursuit au sein de la tourmente;, et, même atteinte, elle ne sera encore que relative ; les victoires dans ce monde ne sont que des étapes menant progressivement vers des victoires plus glorieuses encore; et ce que Ta Volonté fait concevoir à mon esprit comme le but à atteindre, la conquête à réaliser, n'est qu'un simple élément de Ton plan éternel ; mais, dans la parfaite union, je suis ce plan et cette Volonté, et je goûte la félicité suprême de l'infini, tout en jouant avec ardeur, précision, énergie, dans le monde de la division, le jeu spécial que Tu m'as confié.
Ta puissance en moi est comme la source féconde et forte qui gronde derrière le rocher, accumulant ses énergies pour briser l'obstacle et jaillir librement à l'extérieur, se déversant sur la plaine pour la féconder. Quelle sera l'heure de ce jaillissement? Page – 336 Lorsque le moment sera venu, elle jaillira, et le temps n'est rien dans l'Éternité. Mais quels mots pourront dire l'immensité de joie apportée par cette accumulation intérieure, cette concentration profonde, de toutes les forces dociles à la manifestation de Ta Volonté de demain, se préparant à déferler sur le inonde, noyant dans leurs flots souverains tout ce qui s'obstine à vouloir être toujours l'expression de Ta volonté d'hier, afin de prendre possession de la terre en Ton Nom et de Te l'offrir comme une image plus complète de Toi-même.
Tu as dit que la terre mourrait, et elle mourra à ses vieilles ignorances.
Tu as dit que la terre vivrait, et elle vivra dans le renouveau de Ta Puissance.
Quels mots diront jamais la splendeur de Ta Loi et la magnificence de Ta Gloire! Quels mots exprimeront la perfection de Ta Conscience et la félicité infinie de Ton Amour!
Quels mots chanteront Ta Paix ineffable et célébreront la majesté de Ton Silence et la grandeur de Ta toute-puissante Vérité!
Tout l'Univers manifesté ne suffit point à dire Tes splendeurs et à raconter Tes merveilles, et dans l'éternité du temps, c'est à cela qu'il s'essaie de plus en plus, de mieux en mieux, éternellement. Page – 337
(Après quelques moments consacrés à ranger des objets familiers.)
Comme une forte brise courant sur la mer couronne d'écume ses innombrables vagues, ainsi un grand souffle passant sur la mémoire réveilla la multitude des souvenirs. Le passé intense, complexe, touffu, revécut en un éclair, sans avoir rien perdu de sa saveur, de sa richesse.
Puis tout l'être fut soulevé d'un grand élan d'adoration; et rassemblant tous ses souvenirs comme une abondante moisson, c'est à Tes pieds, Seigneur, qu'il les déposa en offrande.
Car à travers toute sa vie, sans le savoir ou en le pressentant, c'est Toi qu'il a cherché; dans toutes ses passions, tous ses enthousiasmes, tous ses espoirs et toutes ses déceptions, toutes ses souffrances et toutes ses joies, c'est Toi qu'il voulait ardemment. Et maintenant qu'il T'a trouvé, maintenant qu'il Te possède dans la Paix et la Félicité suprêmes, il s'émerveille qu'il ait fallu tant de sensations, d'émotions, d'expériences pour Te découvrir.
Mais tout cela qui fut une lutte, une tourmente, un effort perpétuel, est devenu, par la grâce souveraine de Ta Présence consciente, une fortune inestimable dont l'être se réjouit de pouvoir Te faire don. La flamme purificatrice de Ton Page – 338 illumination en a fait des joyaux de prix déposés comme un vivant holocauste sur l'autel de mon cœur.
Les erreurs sont devenues des échelons et les recherches aveugles des conquêtes. Ta gloire transforme les défaites en victoires d'éternité, et toutes les ombres ont fui devant Ta radieuse clarté.
C'est Toi qui fus le mobile et le but, c'est Toi qui es l'ouvrier et l'oeuvre.
L'existence individuelle est le cantique perpétuellement renouvelé que l'univers adresse à Ton inconcevable Splendeur. Page – 339
En dehors de tout signe extérieur, de toute circonstance particulière, les minutes s'écoulaient si majestueusement, dans un si solennel silence intérieur, un calme si profond et si vaste, que les larmes ont coulé abondamment. Depuis deux jours on dirait que la terre traverse une crise décisive; il semble que la grande, la formidable partie qui se joue entre les résistances matérielles et .les puissances spirituelles, est proche d'une conclusion, ou en tout cas, qu'un élément d'une importance capitale a fait, ou va faire, son apparition dans le jeu.
Que les individualités comptent peu à de semblables heures ! Elles sont comme des fétus de paille emportés par le souffle qui passe, tournoyant un instant au-dessus du sol, pour y être rejetés ensuite et réduits en poussière. Et les individualités, qui se sentent ainsi si précaires, si dépourvues d'importance, souffrent et gémissent, agonisent douloureusement. Pour elles, l'attente même est une menace perpétuelle, tout parle de dangers et de destructions ...
Mais quelle grandeur, quelle beauté souveraine se trouvent au fond de cette angoisse extérieure toute faite d'étroit égoïsme; quelle splendeur contient cette attente, religieuse à force de recueillement, dès que les limites de l'aveuglement personnel sont tombées et que la conscience individuelle Page – 340 a pris son essor dans l'immensité pour s'unir à Ta conscience éternelle.
Le monde douloureux s'est agenouillé devant Toi, Seigneur, en muette supplication ; la matière torturée se blottit à Tes pieds, son dernier, son unique refuge; et en T'implorant ainsi, elle T'adore, Toi qu'elle ne connaît ni ne comprend Sa prière s'élève comme le cri d'un agonisant; ce qui disparaît sent confusément la possibilité de revivre en Toi; la terre attend Ton arrêt dans une prosternation grandiose. Écoute, écoute : sa voix T'implore et Te supplie ... Quel sera Ton décret, quelle est Ta sentence? ô Seigneur de vérité, le monde individuel bénit Ta vérité qu'il ignore encore, mais qu'il appelle, et à laquelle il adhère de toute l'énergie joyeuse de ses forces vives.
La mort a passé vaste et solennelle et tout s'est tu religieusement durant son passage.
Une beauté surhumaine a paru sur la terre.
Quelque chose de plus merveilleux que la plus merveilleuse félicité a fait pressentir sa Présence. Page – 341
La conscience tout entière étant immergée dans la contemplation divine, l'être intégral jouissait . d'une suprême et vaste félicité.
Puis le corps physique fut saisi, d'abord dans ses membres inférieurs, ensuite dans sa totalité, par un tremblement sacré qui fit tomber peu à peu, même dans la sensation la plus matérielle, toutes limites personnelles. L'être s'agrandit progressivement, méthodiquement, rompant toute barrière, brisant tout obstacle pour contenir et manifester une Force, une Puissance croissant sans cesse en immensité et en intensité; c'était comme une dilatation progressive des cellules jusqu'à la complète identification avec la terre : le corps de la conscience éveillée était le globe terrestre se mouvant harmonieusement dans l'espace éthéré. Et la conscience savait que son corps globaire se mouvait ainsi dans les bras de la Personnalité universelle et elle se donnait, s'abandonnait à Elle dans une extase de paisible félicité. Alors la conscience sentit que son corps était absorbé dans le corps de l'univers et ne faisait plus qu'un avec lui et la conscience devint la conscience de l'univers, immobile en sa totalité, mouvant infiniment en sa complexité interne. La conscience de l'univers s'élança vers le Divin dans une ardente aspiration et une soumission parfaite et elle vit, dans la splendeur de la Lumière Immaculée, l'Être resplendissant debout sur un serpent à multiples têtes dont le Page – 342 corps s'enroulait infiniment autour de l'univers. Et l'Être dans un geste éternel de triomphe maîtrisait et créait à la fois le serpent et l'univers issu de lui : dressé sur le serpent, il le dominait de toute sa puissance victorieuse, et le même geste qui foudroyait l'hydre enveloppant l'univers le faisait naître éternellement. Alors la conscience, devenue cet Être, perçut que sa forme changeait encore une fois, absorbée dans quelque chose qui n'était plus une forme et qui contenait toutes les formes, quelque chose qui, immuable, voit, l'Œil, le Témoin. Et ce que Cela voit, est. Puis le dernier vestige de forme disparut et la conscience elle-même fut absorbée dans l'Inexprimable, l'Indicible.
Le retour vers la conscience du corps individuel se fit très lentement dans une constante et invariable splendeur de Lumière, de Puissance, de Félicité et d'Adoration, par gradations successives, mais directement, c'est-à-dire sans passer de nouveau par les formes universelle et terrestre. Et ce fut comme si la modeste forme corporelle était devenue le revêtement direct et immédiat — sans intermédiaire — de l'Éternel et Suprême Témoin. Page – 343 |