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Prières et Méditations
LA MÈRE
La Mère en Algérie, 1903-05
Quoique tout mon être Te soit théoriquement consacré, Ô Maître Sublime qui es la vie, la lumière et l'amour de toute chose, j'ai peine encore à appliquer cette consécration dans les détails. Il m'a fallu plusieurs semaines pour savoir que la raison de cette méditation écrite, sa légitimation, réside dans le fait de Te l'adresser quotidiennement. Ainsi je matérialiserai chaque jour un peu de la conversation que j'ai si fréquemment avec Toi; je Te ferai de mon mieux ma confession; non pas parce que je crois pouvoir T'apprendre quelque chose : Tu es toute chose; mais notre façon extérieure et artificielle de comprendre et de voir T'est étrangère, si je puis dire ; elle est opposée à Ta nature. Cependant en me tournant vers Toi, en me baignant dans Ta Lumière au moment où je considère ces choses, petit à petit je les verrai plus semblables à ce qu'elles sont. Jusqu'au jour où, m'étant identifiée à Toi, je n'aurai plus rien à Te dire puisque je serai Toi. C'est ce but que je veux atteindre; c'est vers cette victoire que tendront de plus en plus tous mes efforts. Et j'aspire au jour où je ne pourrai plus dire "je" parce que je serai Toi.
Que de fois par jour, encore, j'agis sans que mon acte Te soit consacré; je m'en aperçois tout de suite à un malaise indéfinissable qui se traduit dans ma sensibilité corporelle par un serrement de cœur. J'objective alors mon action qui me paraît ridicule, enfantine ou coupable; Page – 1 je la déplore; pour un moment je suis triste, jusqu'à ce que me plongeant, me perdant en Toi avec une confiance d'enfant, j'attende de Toi l'inspiration et la force nécessaires pour réparer mon erreur en moi et autour de moi, ce qui est tout un; car maintenant je perçois de façon constante et précise l'unité universelle qui détermine une interdépendance absolue de toutes les actions. Page – 2 ...Ta Lumière est en moi comme un feu vivifiant et Ton divin Amour me pénètre : de tout mon être j'aspire à ce que Tu règnes en Souverain Seigneur dans ce corps qui veut devenir Ton instrument docile et Ton fidèle serviteur. Page – 3
J'ai dit hier à ce jeune Anglais qui Te cherche avec un si sincère désir, que je T'avais définitivement trouvé, que l'Union était constante. Tel est, en effet, l'état dont je suis consciente. Toutes mes pensées vont vers Toi, tous mes actes Te sont consacrés ; Ta Présence est pour moi un fait certain, immuable, invariable, et Ta Paix habite mon cœur constamment. Pourtant je sais que cet état d'Union est misérable et précaire à côté de celui qu'il me sera possible de réaliser demain, et que je suis loin encore, très loin sans doute, de cette Identification où je perdrai totalement la notion du "je", de ce "je" que j'emploie encore pour m'exprimer, mais qui, à chaque fois, est une gêne, comme un terme impropre à exprimer la pensée qui veut s'exprimer. Il me semble indispensable par nécessité de communication humaine, mais tout réside dans ce que manifeste ce "je" ; et que de fois déjà, quand je le prononce, c'est Toi qui parles en moi, car j'ai perdu le sens de la séparativité.
Mais tout cela est embryonnaire encore et ira en se perfectionnant. Quelle apaisante assurance que cette sereine confiance en Ta Toute-Puissance !
Tu es tout, partout, en tout, et ce corps qui agit est Ton propre corps ainsi que l'univers visible dans son entier; c'est Toi qui respires, qui penses et qui aimes dans cette substance qui, étant Toi-même, veut être Ta docile servante. Page – 4
Quel cantique d'action de "grâces ne devrais-je pas Te chanter à chaque instant! Partout et en toute chose autour de moi Tu Te manifestes; en moi Ta conscience et Ta volonté s'expriment de plus en plus clairement, au point que j'ai presque totalement perdu cette grossière illusion du "moi" et du "mien". Si quelques ombres encore, quelques bavures se laissent voir dans cette grande Lumière qui Te manifeste, comment supporteront-elles longtemps l'éclat merveilleux de Ton splendide Amour. Ce matin la conscience que j'ai eue de ce que Tu fais de cet être qui fut moi peut se traduire à peu près par un monumental diamant taillé à facettes géométriques et régulières; diamant par la cohésion, la fermeté, la limpidité incolore, la transparence, mais flamme éclatante et radieuse dans sa vie intense et progressive. Mais c'était plus et mieux que tout cela puisque toute sensation extérieure ou intérieure était dépassée et que cette image ne s'est présentée à mon mental qu'au fur et à mesure que je rentrais en contact conscient avec le monde extérieur.
C'est Toi qui rends l'expérience féconde, c'est Toi qui fais que la vie est progressive, c'est Toi qui obliges l'obscurité à se dissoudre instantanément devant la Lumière, c'est Toi qui donnes toute sa puissance à l'Amour, c'est Toi qui soulèves partout la matière dans cette merveilleuse et ardente aspiration, dans cette soif sublime d'Éternité. Page – 5 Toi partout et toujours ; rien que Tu dans l'essence et dans la manifestation ...
Ombre, illusion, dissipez-vous; souffrance, évanouis-toi : Seigneur Suprême, n'es-Tu pas là! Page – 6 La vie extérieure, l'activité de chaque jour et de chaque instant n'est-elle pas le complément indispensable des heures de méditation et de contemplation. Et la proportion de temps donné à l'une et à l'autre n'est-elle pas l'image exacte de la proportion qui existe entre la somme d'efforts à faire pour la préparation et pour la réalisation. Car la méditation, la contemplation, l'Union, c'est le résultat obtenu, la fleur qui s'épanouit; tandis que l'activité quotidienne est l'enclume sur laquelle doivent passer et repasser tous les éléments afin qu'ils soient assouplis, purifiés, raffinés, rendus mûrs pour l'illumination qui leur est conférée par la contemplation. Et il faut que tous ces éléments les uns après les autres soient ainsi passés au creuset avant que l'activité extérieure ne soit plus une nécessité pour le développement intégral. Cette activité devient alors le moyen de Te manifester afin d'éveiller d'autres centres de conscience au même travail duel de forge et d'illumination. C'est pourquoi l'orgueil et la satisfaction de soi sont les pires des obstacles. C'est très modestement qu'il faut profiter de toutes les minuscules occasions offertes de pétrir et de purifier quelques-uns de ces innombrables éléments, de les assouplir, de les impersonnaliser, de leur apprendre l'oubli de soi, l'abnégation, le dévouement, la bonté, la douceur; et lorsque toutes ces manières d'être leur sont coutumières, alors ils sont prêts pour participer à la Contemplation et s'identifier à Toi dans la Concentration suprême. Page – 7 C'est pourquoi, même pour les meilleurs, le travail me paraît devoir être long et lent; et les conversions Foudroyantes me paraissent ne pas pouvoir être intégrales. Elles changent l'orientation de l'être et le mettent définitivement dans le chemin de la rectitude: mais pour atteindre vraiment le but, personne ne peut échapper aux expériences innombrables, de toute sorte et de tout instant.
... ô Maître Suprême qui resplendis en mon être et en toute chose, que Ta Lumière soit manifestée et que le règne de Ta Paix vienne pour tous. Page – 8
Tant qu'un élément de l'être, un mouvement de la pensée est soumis encore aux influences étrangères, c'est-à-dire n'est pas uniquement sous la Tienne, on ne peut pas dire que l'Union véritable est réalisée; c'est encore l'affreux mélange sans ordre et sans lumière, car cet élément, ce mouvement est un monde, un monde de désordre 1 et d'ombre, comme l'est la terre entière dans le monde matériel, comme l'est le monde matériel dans l'univers entier ... Page – 9
Hier soir j'ai fait l'expérience de l'efficacité de l'abandon confiant à Ta direction: lorsqu'il est nécessaire de savoir une chose on la sait, et plus l'être mental est passif vis-à-vis de Ton Illumination, plus l'expression se fait adéquate et claire.
Je T'écoutais parler en moi et j'aurais voulu que ce que Tu disais pût être noté pour que la formule si précise n'en soit pas perdue — car maintenant je serais incapable de redire ce que Tu as dit. Puis j'ai pensé que ce souci de conservation était encore un injurieux manque de confiance à Ton égard, puisque Tu peux faire de moi tout ce qu'il est nécessaire que je sois et que dans la mesure où mon attitude Te laisse agir sur moi et en moi, Ta Toute-Puissance n'a pas de limites. Savoir qu'à tout instant ce qui doit être est sûrement, aussi parfaitement qu'il est possible, pour tous ceux qui savent Te voir en toute chose et partout! Plus de crainte, plus de trouble, plus d'angoisse ; rien que la Sérénité parfaite, la Confiance absolue, la Paix suprême sans un vacillement... Page – 10
Dans la Paix et le Silence, l'Éternel se manifeste; ne permets à aucune chose de te troubler et l'Éternel se manifestera; sois parfaitement égal en face de tout et l'Éternel sera là ... Oui, il ne faut pas mettre trop d'intensité ni trop d'efforts à Te chercher; cette intensité et ces efforts sont un voile devant Toi ; il ne faut pas désirer Te voir, c'est encore de l'agitation mentale qui obscurcit Ton Éternelle Présence. C'est dans la Paix, la Sérénité, l'Égalité la plus complète que tout est Toi comme Tu es tout, et la moindre vibration dans cette atmosphère parfaitement pure et calme est un obstacle à Ta manifestation. Pas de hâte, pas d'inquiétude, pas de tension; Toi, rien que Toi, sans analyse ni objectivation, et Tu es là sans aucun doute possible, car tout devient Paix Sainte et Silence Sacré.
Et cela est mieux que toutes les méditations du monde. Page – 11
Comme une flamme qui brûle silencieusement, comme un parfum qui monte tout droit, sans vaciller, mon amour va vers Toi; et comme l'enfant qui ne raisonne pas et ne s'inquiète de rien, je me confie à Toi pour que Ta Volonté soit faite, que Ta Lumière se manifeste, que Ta Paix rayonne et que Ton Amour couvre le monde. Quand Tu le voudras je serai en Toi, Toi-même, sans aucune distinction; et j'attends cette heure bénie sans impatience d'aucune sorte, en me laissant couler irrésistiblement vers elle comme le fleuve paisible coule vers l'océan sans bornes.
Ta Paix est en moi et dans cette Paix je ne vois plus que Toi présent en toute chose, avec le calme de l'Éternité. Page – 12
Ô Maître Suprême, Instructeur Éternel, il m'a été donné, une fois de plus, de constater l'efficacité sans pareille de la pleine confiance en Ta direction. Ta Lumière s'est manifestée hier par ma bouche sans rencontrer en moi de résistance; l'instrument fut docile, souple et bien aiguisé.
C'est Toi qui agis en toute chose et en tout être, et celui qui est assez proche de Toi pour Te voir en tout acte sans exception, sait transformer tout acte en bénédiction.
Être en Toi toujours est la seule chose importante, en Toi toujours et toujours plus, en dehors des illusions et des sensations mensongères, et non pas en se retirant des actes, en les refusant, en les rejetant — combat inutile et néfaste — mais en ne vivant que Toi dans l'acte quel qu'il soit, toujours et toujours; alors l'illusion se dissipe, la sensation fausse s'évanouit, le lien dés conséquences tombe et tout se transforme en une glorification de Ta Présence Éternelle.
Ainsi soit-il. Page – 13
...J'attends, sans hâte et sans inquiétude, qu'un nouveau voile se déchire et que l'Union se fasse plus complète. Je sais que ce voile est fait de tout un ensemble de petites imperfections, de liens sans nombre ... Comment disparaîtra cet ensemble? Lentement, à l'aide d'innombrables petits efforts et d'une vigilance qui ne doit pas se démentir un moment, ou tout d'un coup, par une grande illumination de Ton Amour Tout-Puissant? Je ne sais, et ne me pose même pas la question; j'attends, en veillant de mon mieux à tout, mais certaine que seule Ta Volonté existe, que Toi seul agis et que je suis l'instrument; et quand l'instrument sera prêt pour une plus complète manifestation, la manifestation aura lieu, tout naturellement.
Derrière le voile s'entend déjà la silencieuse symphonie d'allégresse révélant Ta Sublime Présence. Page – 14 |